En direct du "CERN" ...
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Fabiola Gianotti / Physicienne Italienne / Directrice Générale du CERN (Photo CERN)
L’antimatière joue-t-elle avec la gravité ?
Dans les laboratoires du CERN de Genève, une guerre secrète fait rage : la "bataille" de l’antigravité !
Il ne s’agit pas d’un conflit intergalactique mettant en jeu une propulsion secrète, mais bien de recherche en science fondamentale !
L’objectif est simple, du moins en apparence : montrer si oui ou non l’antimatière "tombe" comme la matière ordinaire !
Trois équipes concurrentes travaillent d’arrache-pied avec l’ambition de devenir les premiers à mesurer l’intensité avec laquelle la gravité agit sur l’antimatière !
Les équipes "concurrentes" (photo CERN)
L’antimatière est le miroir destructeur de la matière ordinaire !
Si un antiatome rencontre un atome, les deux s’annihilent instantanément dans un flash de pure énergie. C’est d’ailleurs cette propriété particulière qui rend leur étude si compliquée !
Si un atome d’hydrogène classique est composé d’un proton (chargé positivement) autour duquel tourne un électron (chargé négativement), l’antiatome correspondant est au contraire formé d’un antiproton (chargé négativement) autour duquel tourne un antiélectron (chargé positivement).
En théorie, matière et antimatière se seraient formées en quantités égales après le big bang !
Mais pour une raison inconnue, l’antimatière a complètement disparu !
La seule manière d’étudier cet objet étrange est de le fabriquer en laboratoire. Fabriquer des antiprotons ou des antiélectrons n’est pas très compliqué. Le sodium radioactif, par exemple, produit naturellement des antiélectrons en se désintégrant. Les antiprotons se forment tout aussi naturellement lorsqu’on bombarde des atomes classiques avec des particules très énergétiques.
Les problèmes viennent après, lorsqu’il faut ralentir ces antiparticules (notamment les antiprotons plus rapides et plus lourds) pour les associer entre elles et former ainsi des antiatomes.
La chose est si difficile à réaliser que le premier antiatome de l’histoire ne fut créé qu’en 1995, au CERN déjà, alors que cela faisait plus de 50 ans que nous avions réussi à créer des antiprotons et des antiélectrons. Et il fallut attendre encore 15 ans pour que les chercheurs de la collaboration Alpha, toujours au CERN, ne réussissent à garder des antiatomes stables pendant un temps de 1 000 secondes, en 2011.
Décélérateur d'antiprotons "Elena" (photo CERN)
Un anneau de 200 mètres de circonférence, le décélérateur d’antiprotons ou "AD" , installé en 2000, est au coeur de cette réussite !
Protégé par de lourds blocs de béton armé au sein du hangar 193, il s’agit de la colonne vertébrale de l’"Antimatter Factory", le seul endroit au monde où les scientifiques réussissent à produire de l’antimatière.
Cet anneau délimite une arène, littéralement, dans laquelle trois expériences se partagent actuellement les précieux antiprotons ralentis.
Chaque mètre carré est important et les rivalités entre les groupes n’ont rien de virtuelles.
"Je n’aime pas perdre, seule la première place m’intéresse", me confie Jeffrey Hangst , directeur "d’Alpha-g", l’une des trois expériences dédiées à la mesure de l’antigravité.
La première étape sera donc de déterminer son signe : autrement dit, s’assurer que l’antimatière tombe bien vers le bas comme la matière classique ! Tout laisse penser que ce sera bien le cas ! Mais l’histoire des sciences est pleine de surprises. Il se pourrait aussi que l’antimatière tombe un tout petit peu plus vite, ou plus lentement, que la matière ordinaire.
Ce serait déjà un résultat de première importance .
Que ce soit pour expliquer l’absence d’antimatière dans l’univers ou comprendre la nature de la gravité, seule force qui n’ait jamais réussi à être unifiée dans une théorie plus large avec les autres types d’interactions (les forces électromagnétiques, les forces nucléaires faible et forte).
La plus ancienne expérience sur l’antigravité, "AEgIS", a démarré en 2014.
Son objectif était de former des antiatomes puis de les ralentir suffisamment pour que l’on puisse détecter la courbure de leur trajectoire liée à la gravité.
Exactement comme on peut déduire l’effet de la gravité sur un boulet de canon lorsqu’on regarde la manière dont il plonge vers le sol.
Mais pour le moment, rien ne marche comme prévu !
"Nous avançons, mais il est difficile de dire quand nous aurons notre premier résultat", m'explique Michael Doser, le directeur de la seconde expérience. "Les autres vous diront que nous n’y arriverons jamais, mais il ne faut pas les écouter" ajoute-t-il malicieusement !
De l’autre côté de l’arène, le dernier arrivé est "gBAR" que l'on peut considérer comme étant "la plus française" des trois expériences, même si elle rassemble aussi l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni, la Russie, la Pologne et la Suisse.
Ici, l’idée est de fabriquer les premiers "anti-ions" : un antiproton autour duquel tourneraient deux antiélectrons.
"Un ion anti-hydrogène est chargé électriquement, il serait donc plus facile à manipuler qu’un antiatome", me rappelle Patrice Pérez, le directeur de la troisième expérience. "Nous pourrions le rendre quasiment immobile une fois produit. Il n’y aurait plus qu’à le laisser tomber pour voir ce qui se passe" .
La construction d’un décélérateur d’antiprotons supplémentaire, "Elena", de 30 mètres de diamètre, était nécessaire pour tenter la production de ces anti-ions. Ce dernier est en cours de test. Il devrait fournir ses premiers faisceaux à l’expérience gBAR avant la fin de cette année .
Fin 2018, tous les accélérateurs du CERN seront mis à l’arrêt pour une longue période de maintenance.
Peu de chances qu’AEgIS ou gBAR n’arrivent à déterminer une première valeur de la "constante d’antigravitation" d’ici là !
Le troisième protagoniste, Alpha-g, pourra-t-il y parvenir ?
L’idée est cette fois-ci de piéger des anti-atomes classiques dans des pièges magnétiques avant de les laisser tomber.
Gros avantage, le dispositif expérimental est globalement le même que celui de l’expérience Alpha, sa grande soeur, qui a accumulé les succès.
"Il suffit "juste" d’en construire un nouveau à la verticale", me dit Jeffrey Hangst. "Je pense que nous avons la technologie la plus mûre. Nous sommes les seuls à pouvoir être opérationnels très rapidement. Mais nous avons un problème avec la construction de l’aimant. Les délais ne seront peut-être pas suffisants pour parvenir à une mesure avant la fermeture des accélérateurs fin 2018" .
"Ils auront peut-être une mesure, mais ils n’auront jamais la précision requise pour détecter une différence avec la matière classique" , réplique aussitôt Patrice Pérez. "Ils ne se risquent d’ailleurs pas à publier la moindre prévision ... n'est-ce pas les gars ?"
La "bataille" s’annonce donc longue et âpre entre les trois concurrents !
Et probablement sans vainqueur avant 2021 ... au plus tôt !!
Philippe Clément-Béal .
Commentaires (2)
- 1. | 22/08/2017
- | 23/08/2017
Quelle chance ont ceux qui ont les capacités pour être associés à de tels projets et je les envie .
D'autant que je n'arrive pas à "matérialiser" ce qui est décrit et qui pourtant doit être élémentaire ?
""un flash de pure énergie"". Mais l’énergie, c'est quoi ?
Si j'ai bien compris, il ne resterait physiquement rien après la rencontre matière-antimatière.
Le flash ne serait que la trace laissée par les particules lors de leur "évaporation", un peu comme un feux d'artifice qui ne laisserait pas de cendres ?
L’énergie serait donc.....rien ?
Je me demandais également : "" Protégé par de lourds blocs de béton armé au sein du hangar 193...."""
Pourquoi de telles protections ?
Risques d'explosions (cryogénie hélium), risques de radiations ou d’immixtion de rayonnements ou.... ?
Quoi qu'il en soit, vos billets sont passionnants.
Meilleures amitiés, Daniel