Physique de la stabilité d'un vélo ...
... Ou comment maîtriser l'équilibre d'une bicyclette sans les "petites roues" ...
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"La vie , c'est comme une bicyclette ,
il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre"
(Albert Einstein)
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Ce billet est dédié à tous ceux qui , au prix d'improbables contorsions , ont couru , courent encore ou courront
des heures durant en tenant la selle du vélo de leur enfant jusqu'à ce que celui-ci maîtrise enfin le subtil jeu d'équilibre du guidon !
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Depuis notre plus tendre enfance l’équilibre à vélo est resté un mystère.
"Comme tout le monde ou presque j’ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que paraît-il, je n’enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu’on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui assuraient ma stabilité " (G.Perec / W ou le Souvenir d’enfance / 1975).
Mais un beau jour, il faut bien les enlever …
Alors, à l’affût de nouvelles sensations, nous nous dirigions dès lors vers un équilibre contrôlé !
Cependant, une question est toujours latente : pourquoi un tel équilibre s’établit-il au moment même où nous commençons à rouler ?
Alors même que l’enfant pose cette question , on lui répond par une affirmation pré-faite et immuable :
"Tu comprendras quand tu seras plus grand … ".
Afin de pouvoir s’estimer grand , il est donc grand temps de démystifier ce problème !
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Dans un premier temps, je vous présenterai les forces qui maintiennent le vélo en équilibre lorsqu’il est en mouvement.
Puis, m'appuyant sur quelques expérimentations , je vous en montrerai leur importance respective !
Tour de France 1911 / Étape CHAMONIX - GRENOBLE
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I - Quelles sont les forces qui entrent en jeu dans l’équilibre à vélo ?
Nous considèrerons dans cette partie le système vélo/cycliste par rapport au référentiel terrestre supposé galiléen.
La particularité de ce système est qu’il est déformable et la question de l’équilibre à vélo tient donc compte des forces intérieures et extérieures au système.
1) Etude des forces s’appliquant sur le système vélo/cycliste immobile.
Comme tout système immobile, les deux seules forces extérieures qui s’appliquent sur ce système sont le poids et la réaction du sol sur le vélo :
- Le poids, caractérisé par sa direction verticale passant par le centre de gravité du système (dont la position est considérée comme invariable), qui est son point d’application, de sens dirigé vers le centre de la Terre, et de valeur P = mg = masse * intensité du champ de pesanteur.
Dans notre cas, la masse du système est 69 kg, et l’intensité du champ de pesanteur à Grenoble est 9,80N.kg-1 ; d’où la valeur de P = 676 N
- Le vélo étant considéré sur un sol plat, de manière à ce que le poids et la réaction du sol appartiennent à un même plan vertical.
La réaction du sol, caractérisée par sa direction verticale, dirigée vers le haut, et s’appliquant sur les points de contact entre les roues et le sol. Notre vélo possédant deux roues, la réaction du sol se répartit en deux contributions dont la somme est égale à la valeur de P. (D’après la 2ème et 3ème loi de Newton.)
La surface en contact avec le sol étant très faible, le moindre déplacement du centre de gravité entraîne un déséquilibre latéral du système qu’il est difficile de contrôler (Donc, plus les pneus sont larges, plus la base de sustentation est large ce qui rend plus facile son alignement avec le centre de gravité.).
La notion de déséquilibre sera donc associée au moment du poids par rapport à l’axe d’inclinaison du système vélo/cycliste considéré comme indéformable :
On note ainsi :
Mp = Px * d * i
Où Px est la composante du poids orthogonale au plan d’inclinaison du système, d la distance entre l’axe d’inclinaison et le centre de gravité du système et i un vecteur unitaire de même direction que l’axe d’inclinaison du système et pris arbitrairement de sens opposé au moment du poids.
2) Etude des forces s’appliquant sur un vélo en mouvement.
Lorsque le système vélo/cycliste est en mouvement par rapport au référentiel terrestre, on considèrera toujours les forces mentionnées précédemment. De plus des forces de frottement latéral (au niveau du point de contact des roues avec le sol) s’appliquent sur le système vélo/cycliste dès qu’il amorce un virage par exemple, et assurent la stabilité du vélo en évitant le dérapage des roues.
Bien qu’indispensables au maintien de l’équilibre, nous ne les prendrons pas en compte dans notre étude du fait que leur moment est nul par rapport à l’axe d’inclinaison du système vélo/cycliste, puisque la distance qui les sépare de cet axe est nulle.
Nous considèrerons au cours de nos expériences que ces forces sont suffisantes pour éviter tout dérapage.
Par ailleurs, viendront s’ajouter des forces de frottement exercées horizontalement et de sens opposé au mouvement.
Cependant, dans les expériences que nous réaliserons, nous les négligerons car nos mesures sont effectuées à des vitesses estimées constantes.
Ces forces ne permettent pas de maintenir l’équilibre du vélo car la somme vectorielle de ces forces est comprise dans le plan du système.
D’autres forces s’exercent donc sur le système vélo/cycliste et rétablissent son équilibre.
Il s’agit de la force centrifuge et de l’effet gyroscopique engendré par la rotation des roues, dont nous décrirons les modes d’action dans la seconde partie.
3) Approche théorique de quelques phénomènes physiques.
a) La force centrifuge :
Le référentiel lié au système vélo/cycliste est un référentiel de point de contact centré sur le point de contact d’une des deux roues avec le sol .
Celui- ci ne pouvant pas être considéré comme galiléen dès que le système subit une quelconque accélération !
Nous devons donc ajouter les forces d’inertie s’appliquant sur ce système. Les forces d’inertie sont composées des forces de Coriolis et de la force d’inertie d’entraînement :
Or , les forces de Coriolis sont nulles puisque le référentiel considéré est en translation quelque soit le déplacement du système (référentiel en translation circulaire).
La force centrifuge s’exprime sur un système de masse M , de vitesse V , sa direction est la droite passant par le centre du cercle décrit par le système et par le centre d’inertie du système et son sens est dirigé vers l’extérieur de ce cercle.
Sa valeur est FC = M*V2/R, où R est le rayon de courbure de la trajectoire du système.
Pour notre étude, nous nous intéresserons à la force centrifuge exercée sur le système vélo/cycliste dans le référentiel de point de contact lié au système.
b) La réaction gyroscopique des roues :
Le principe du gyroscope a été découvert et nommé par "Léon Foucault", physicien du 19ème siècle.
Il s’en est servi pour mettre en évidence la rotation de la terre !
La définition qu’il en a donné est la suivante : le gyroscope est un appareil comprenant un rotor tournant à grande vitesse et capable de mettre en évidence la rotation de son boîtier.
Le système vélo/cycliste est un solide déformable puisque le cycliste est susceptible de modifier l’état initial du système.
En outre celui-ci peut exercer un couple de forces sur le guidon et ainsi modifier directement la direction du moment cinétique de la roue si l’on considère la liaison entre la fourche et le guidon comme parfaite.
Donc , selon la théorie de conservation du moment cinétique d’un solide en rotation , il va résulter de ce couple de forces (dénommé couple gyroscopique) exercé sur le guidon un effet, l’effet gyroscopique qui tendra à redresser le système (si le guidon a été tourné dans le sens de la chute).
Le calcul du moment cinétique des roues paraît donc indispensable au calcul du couple gyroscopique !
c) Le moment cinétique
Pour un point en mouvement, on définit son moment cinétique L en un point fixe O par rapport à un référentiel (celui du vélo par exemple) comme
L = r*p , produit vectoriel du vecteur position r par rapport à l’origine O et du vecteur p quantité de mouvement.
Pour nos roues de vélo, il faut donc faire la somme du moment cinétique de chaque point par rapport au centre O de la roue.
Donc :
→ →
L = Σ OM ^ m (dv/dt)
L = Σ (r2 m ω)
L = I ω , où I est le moment d’inertie de la roue.
Nous avons donc besoin de connaître le moment d’inertie de nos roues de vélo !
d) Le moment d’inertie des roues :
Le moment d'inertie quantifie la résistance d'un corps soumis à une mise en rotation (ou plus généralement à une accélération angulaire).
Dans notre cas, nous ne nous intéresserons qu’au moment d’inertie des roues, qui sont composées d’un moyeu, d’une jante, des rayons, d’écrous, d’une chambre et d’un pneu.
Nous négligerons néanmoins les écrous et le moyeu. Ce moment se calcule de manière différente suivant les composants de la roue. La jante, la chambre et le pneu sont assimilés à des anneaux minces et leur moment d’inertie sont additifs et se calculent donc ainsi :
I = MR2 où M est la masse de l’objet étudié, R son rayon .
Mais le moment d’inertie d’un rayon se calcule de manière analogue à celui d’une tige pleine en rotation par rapport à un axe perpendiculaire passant par une de ses extrémités :
I = MI2/12 où M est la masse de l’objet étudié, l sa longueur.
Nous allons maintenant appliquer ces formules aux roues avant et arrière du vélo, car leurs moments d’inertie sont légèrement différents.
Tout d’abord , nous avons pesé chaque roue et ses composants et nous avons aussi mesuré leur rayon.
Voici les valeurs obtenues :
Roue Avant
Roue arrière
Etant donné que les moments d’inertie sont des valeurs additives, nous avons additionné les moments d’inertie de chaque composant pour trouver celui de la roue entière. Ainsi , nous trouvons :
I roue avant = 107,2 g.m2
I roue arrière = 111,6 g.m2
Maintenant, nous sommes donc en mesure de calculer le couple gyroscopique !
On considère que la roue est un solide indéformable avec une symétrie des actions parfaites puisqu’elle a une forme de révolution !
Dans notre cas, nous pouvons considérer que nous sommes dans l’approximation gyroscopique , c’est à dire que la rotation imposée ? est nettement inférieure à la rotation angulaire de la roue ω autour de son axe.
Etant donné que le moment cinétique est toujours parallèle à l’axe de rotation de la roue et qu’il est toujours constant, on peut appliquer le théorème du moment cinétique. (Ici, v sera le référentiel du vélo et r le référentiel de la roue.)
4) Un élément technique important dans la conception du vélo : la "chasse".
D’autres éléments techniques notamment dans la conception du cadre interviennent aussi dans la stabilité du vélo.
La chasse du vélo correspond à l’angle formé par la droite prolongeant la fourche et par la verticale passant par le point de contact de la roue avant avec le sol.
Celle-ci joue un rôle important dans la maniabilité et l’équilibre du vélo !A faible vitesse, l’inclinaison du cadre entraîne une rotation de la roue avant grâce au couple créé par la réaction du sol par rapport à l’axe de la fourche.
Toutefois, lorsque la vitesse augmente, cet effet diminue puisque les frottements sont plus importants.
Cependant, un autre phénomène se déclare !
En effet l’ inclinaison du système crée par le moment Mp vers l’arrière.
Or, la roue a un moment cinétique L , perpendiculaire à sa trajectoire qui est circulaire.
D’après l’équation dL/dt = Mp, on en déduit que l’axe du moment cinétique va se modifier.
En effet, L tendra à rester perpendiculaire à l’axe de rotation de la roue et donc celle-ci va s’orienter perpendiculairement à son moment cinétique. Ainsi à grande vitesse une chasse importante assure une certaine stabilité, puisque le moment vertical résultant n’aura qu’un effet partiel sur la rotation de la roue autour de son axe.
De plus une autre conséquence de la chasse et qui influe directement sur le maintien d’une trajectoire linéaire provient du fait que plus la chasse est importante et plus le moment des forces de frottement s’opposant à une éventuelle rotation du guidon est important.
D’où , plus la chasse est petite et plus le vélo sera maniable !
C’est le cas des vélos tout terrain ; à l’inverse , les vélos de course sont plus stables puisque leur chasse est plus importante .
5) Bilan des moments sur le système vélo/cycliste suite à un déséquilibre.
Supposons que le système vélo/cycliste (à vitesse constante) soit déstabilisé vers la gauche par une déformation interne à l’origine d’un moment extérieur résultant du poids du système : Mp = - d cos mg u (où m est la masse du système)
L’équilibre du système ne peut donc être assuré que par un moment de sens contraire et équivalent à Mp (qui ne cesse de croître et provoque la chute en l’absence de réaction).
Cependant la déformation interne du système et notamment l’action du cycliste sur le guidon engendre une rotation de la roue avant et donc selon le principe des actions-réactions une rotation du système autour d’un axe.
Cette rotation provoque l’application , sur le système vélo/cycliste , de la force centrifuge d’entraînement.
Celle-ci est à l’origine d’un moment de sens opposé à celui du poids : Mc = d sin m(v2/R)u (où v est la vitesse du système et R le rayon de la trajectoire circulaire du système)
De plus la modification du moment cinétique des roues à plusieurs niveaux (que nous détaillerons par la suite) entraîne la formation de couples de forces internes au système.
Ces effets gyroscopiques s’opposent aussi à la chute par des moments opposés à celui du poids.
Nous avons pu distinguer plusieurs phénomènes gyroscopiques suivant la nature du déséquilibre selon la trajectoire du vélo.
Nous avons donc décidé d’étudier l’équilibre du vélo en ligne droite et celui en virage.
II- Etude cinématique du vélo en ligne droite.
1) Présentation du protocole expérimental.
Afin d‘établir différents modèles utiles à notre étude, nous avons réalisé une série de mesures grâce au logiciel "Vicon ".
Ce logiciel fonctionne de la manière suivante : un ensemble de 8 caméras (comme ci dessous) est disposé dans la pièce.
Ces caméras émettent des rayons infrarouges qui vont se refléter sur des capteurs réfléchissants.
Les rayons ainsi réfléchis sont ensuite récupérés par l’optique des caméras. Elles mettent ensuite leurs données en commun afin de former une image unique en trois dimensions.
L’image obtenue n’est formée que de points (les capteurs), dont on pourra étudier la position à chaque instant et ainsi faire les mesures nécessaires à notre étude.
Nous avons donc placé les capteurs utiles sur le vélo, ainsi que sur le cycliste (ceux placés sur le cycliste ont pour unique but de nous permettre de reconstituer une image représentative du système vélo/cycliste, ils ne rentreront pas en jeu pour nos mesures).
La salle d’analyse ne nous permettant pas de pédaler en mouvement , nous avons adopté une méthode adaptée : des rouleaux d’entraînement posés au centre de la pièce :
Nous les avons placés sur une plate forme de force qui fait aussi partie du logiciel Vicon, et qui permet de connaître la réaction du sol lors des diverses expériences.
Nous les avons aussi munis de capteurs, toujours par soucis de commodité, mais ils ne nous serviront pas non plus pour les mesures que nous ferons.
Notre cycliste a ensuite dû pédaler sur les rouleaux, afin d’exécuter 6 séries de mesures : 2 à allure lente, 2 à allure moyenne, et 2 à allure rapide.
Les caméras nous permettront de connaître l’influence des différents effets gyroscopiques intervenant dans l’équilibre du vélo.
Le logiciel nous fournit donc par la suite les positions de chaque point dans l’espace, dans le repère ayant pour origine l’un des coins de la plate forme de force.
Ainsi nous pourrons par exemple calculer la vitesse de la roue avant en nous plaçant dans le plan de la roue, de même pour calculer l’angle de rotation du guidon nous nous placerons dans le plan (OXY) situé au dessus du cycliste afin de simplifier les calculs tout en ayant de très bonnes approximations !
2) Calculs préliminaires à l’interprétation des résultats.
La reconstitution de la réaction du sol par la plate forme de force lors de notre manipulation nous a permis de localiser de manière fiable la position du centre d’inertie du système.
Celui-ci se localiserait au milieu de la cuisse lorsqu’elle atteint sa position maximale au cours du cycle de pédalage dans le plan (OXZ).
Grâce aux coordonnées obtenues avec le logiciel, nous avons pu déterminer la position moyenne du centre d’inertie du système.
Voici la façon dont nous avons procédé : nous avons pris les coordonnées de la hanche (H) et du genou (G) en fin de cycle de pédalage et nous avons établi la position du milieu du segment [HG].
G ayant pour coordonnées moyennes (1032 ; 1060) et H ( 606 ; 1264) .
Donc le centre d’inertie CI a pour coordonnées (819 ; 1162) .
Le centre d'inertie se trouve entre le milieu des deux cuisses du cycliste
L’analyse du mouvement des capteurs par les caméras infrarouges et la reconstitution des coordonnées de chaque point par le logiciel nous ont permis de calculer :
a)- L’angle que forme le guidon par rapport au cadre du vélo
Pour mesurer l’angle de rotation du guidon par rapport au cadre afin d’obtenir sa vitesse angulaire de rotation, nous avons considéré le repère (Oxy). Nous avons ensuite calculé le produit scalaire dans ce plan des vecteurs correspondants aux capteurs situés sur le guidon et sur le cadre de deux manières différentes afin d’obtenir le cosinus de l’angle associé.
b)- L’angle d’inclinaison du cadre du vélo
Nous avons ensuite mesuré l’angle d’inclinaison du vélo dans le repère (Oyz).
c)- La vitesse de rotation des roues
Nous avons enfin mesuré la vitesse de rotation des roues en nous plaçant dans le plan (OXZ).
Les caméras infrarouges ont une fréquence de prise f = 100Hz, donc en multipliant chaque variation d’angles trouvés par 100, nous obtenons les vitesses angulaires recherchées :
Exemple : ω = dθ/dt ≈ ?θ/?t ≈ θ*f
3) Interprétation des résultats.
Le graphique ci-dessous présente le mouvement en Z de la cheville et l’inclinaison du système vélo/cycliste en fonction du temps pour une vitesse donnée. On remarque un déphasage entre les deux courbes à n’importe quelle vitesse.
Le pédalage à l’origine d’un léger décalage du centre de gravité prend donc part dans le déséquilibre.
Les angles positif ou négatifs correspondent à un basculement du système à droite ou à gauche.
Courbe en fonction du temps obtenu à faible vitesse(avoisinant 27km.h-1)
Si le déséquilibre semble provenir du pédalage, le rééquilibrage est quant à lui, étroitement lié à la rotation du guidon.
La particularité du système étudié dans cette situation provient du fait que le seul moment mécanique extérieur au système est celui du poids.
En effet , bien que déformable le référentiel lié au système peut être ici considéré comme galiléen car pratiquement immobile par rapport au référentiel terrestre supposé galiléen.
Les seuls moments susceptibles de rétablir son équilibre sont donc internes.
Nous avons à ce titre distingué deux perturbations du moment cinétique de la roue avant générant deux effets gyroscopiques différents pouvant rétablir l’équilibre du système vélo/cycliste en mouvement sur les rouleaux :
- Le premier apparaît au niveau de la roue avant lorsque le cycliste tourne le guidon et de ce fait exerce un couple perturbateur au niveau de l’axe de rotation de la roue.
- Le deuxième est dû au fait que la roue arrière constitue une sorte de pivot autour duquel le système vacille.
Celui-ci tend comme le précédent à redresser le système. La vitesse de rotation du système par rapport à la roue arrière a été calculée avec la même méthode que la vitesse de rotation de la roue.
Afin d’illustrer ces phénomènes, nous avons tracé, pour chaque vitesse, les graphiques comparant le moment du poids déséquilibrant le système et au couple gyroscopique qui le rééquilibre.
Sur chacun d’eux apparaît en abscisse le temps exprimé en cs ("centiseconde" (10-2 seconde) ... pour des raisons pratiques !) , et en ordonnée, le couple gyroscopique et celui du poids et exprimé en Newton mètre.
De plus des changements d’échelle ont été réalisés pour une meilleure lecture graphique et la mise en évidence de certains phénomènes.
A faible vitesse : nous avons construit premièrement le graphique qui représente le couple gyroscopique liée à la rotation du guidon et le moment du poids :
Les pics d’amplitudes (en jaune) correspondent à des rotations rapides du guidon prenant une part importante dans le rééquilibrage du système.
Deuxièmement , nous avons construit le graphique représentant le couple gyroscopique liée à l’oscillation du système par rapport à la roue arrière et le moment du poids :
Enfin , nous avons construit le graphique représentant la somme des deux couples gyroscopiques et le moment du poids:
A vitesse moyenne : nous avons procédé de la même manière, mais nous n’avons fait apparaître que le graphique représentant la somme des deux couples gyroscopiques et le moment du poids :
A vitesse rapide : là aussi nous n’avons mis que le graphique représentant la somme des deux couples gyroscopiques ainsi que le moment du poids :
On constate finalement que quelque soit la vitesse, les couples gyroscopiques s’opposent au déséquilibre, mais ne le compensent pas totalement. Cependant , plus la vitesse augmente et plus les réactions gyroscopiques devraient être importantes, mais plus la vitesse augmente et plus les corrections diminuent.
De plus, le couple gyroscopique ne compense pas totalement celui du poids.
Cet écart demeure donc et toute la question est de savoir si la gesticulation du cycliste entre en jeu dans le rééquilibrage du système.
Pour cela , nous allons étudier le comportement du buste par rapport à la hanche grâce aux capteurs que nous avions fortuitement placés sur l’épaule.
Nous considérons donc le repère (Oyz) pour pouvoir étudier au mieux la position relative des deux capteurs.
Pour le calcul , nous utilisons le même principe que pour le calcul de la vitesse des roues !
Nous obtenons ainsi le graphique suivant pour une vitesse moyenne de l’ordre de 35km.h-1.
La complémentarité entre les deux courbes laisse donc penser que la gesticulation du buste du cycliste qui entraîne un léger déport du centre de gravité est aussi à l’origine du rééquilibrage en complétant l’effet gyroscopique.
Cette étude nous a donc permis d’étudier l’influence de deux effets gyroscopiques sur l’équilibre du vélo dont les réactions sont semblables à celles que l’on pourrait observer en ligne droite.
Cependant lorsque le vélo est en mouvement par rapport au référentiel terrestre et que le cycliste tourne le guidon pour rattraper son déséquilibre, un troisième couple gyroscopique apparaît de manière furtive. Il correspond à celui que l’on observe lorsque le vélo est en virage.
III- Etude cinématique du vélo en virage
1) Présentation du protocole expérimental
Dans un virage, le système vélo/cycliste n’est pas déséquilibré ; on observe un angle d’inclinaison constant pour une vitesse constante.
Donc la somme des moments mécaniques s’appliquant sur le système est nulle.
Par ailleurs, nous n’avons pas pu utiliser le protocole précédent, en effet , le système étudié n’a pas de vitesse et de ce fait pas d’inertie par rapport au référentiel géocentrique.
On ne pouvait donc pas calculer de force centrifuge !
Dans un premier temps, nous avons voulu mesurer la force centrifuge exercée dans le système vélo/cycliste dans un virage, et le sens de rotation du guidon.
En effet, des rotations intempestives du guidon auraient modifié l’inclinaison du vélo lors de la mesure et l’auraient rendue pour cette raison imprécise.
De plus , nous verrons que le blocage du guidon nous permet d’identifier une réaction gyroscopique précise qui nous sera dès lors possible de quantifier.
Le cycliste ne pédalera pas afin de garder la meilleure trajectoire possible et une vitesse relativement constante pendant le virage.
Sur une piste d’athlétisme dont nous avons préalablement mesuré le diamètre (59,60m) et la largeur d’un couloir (1,22m) , nous avons tracé un rayon, puis la tangente à ce rayon. Le long de cette tangente, nous avons placé une caméra horizontalement et à hauteur du cycliste .
D’autre part, nous avons équipé le vélo de marqueurs visibles afin de faciliter la lecture des images.
Grâce aux vidéos enregistrées par cette caméra (25 images/seconde), en faisant défiler les images une par une, avec le logiciel Dartfish (logiciel d’analyse vidéo), nous avons pu déterminer, pour chaque passage du vélo, l’angle d’inclinaison de ce dernier.
De plus, nous avons positionné, de la même manière, une caméra, à l’intérieur du virage, le long du rayon dont est issue la tangente.
Celle-ci (50 images/seconde) va nous permettre de mesurer de manière relativement précise la vitesse instantanée du système.
Enfin, suivant ce rayon, nous avons posé une poutre bordée d’un scotch orange afin de créer un meilleur contraste et ainsi mesurer plus précisément l’angle d’inclinaison du système.
Voici le schéma du dispositif mis en place :
Pour réaliser nos mesures, le cycliste a toujours roulé sur le même couloir en gardant le même rayon de courbure et en suivant la ligne blanche de la piste mais à des vitesses différentes.
Nous avons donc procédé en deux parties.
La première fois, nous avons testé notre dispositif en ne faisant que 10 mesures sur deux rayons de courbures différents.
Les analyses de ces vidéos nous ont montrés premièrement que ce nombre de mesures ne nous permettrait pas d’établir un modèle ; deuxièmement celles-ci nous ont poussés à effectuer le reste de nos mesures sur le rayon le plus petit où les inclinaisons du vélo devenaient observables même à petite vitesse.
Nous avons donc refait 50 mesures la fois d’après afin d’obtenir des résultats exploitables.
Après avoir transféré les données sur ordinateur, nous avons analysé les vidéos.
Pour chaque séquence, avec la caméra filmant l’inclinaison, nous avons mesuré l’angle quand les deux roues du vélo étaient alignées dans le champ de vision de la caméra, entre le sol (horizontal) et le cadre du vélo.
Puis, grâce à la seconde caméra placée sur le rayon, nous avons calculé la vitesse instantanée du système lors de son inclinaison.
En faisant défiler image par image chaque séquence, nous avons pris le centre de la cible comme repère et nous avons mesuré sa distance parcourue sur un maximum d’images, allant de 13 à 25.
Ainsi nous avons aisément trouvé la vitesse du système (en m.s-1) , sachant que cette caméra filme 50 images/seconde, grâce à la formule v = ?d/?t .
2) Résultats des mesures effectuées
Après avoir analysé les vidéos et effectué les calculs, nous avons répertorié les résultats dans le tableau suivant :
3) Interprétation des résultats
Grâce au logiciel Exel, nous avons pu tracer le nuage de points puis la courbe de corrélation représentant le moment de la force centrifuge en fonction de la vitesse ainsi que le nuage de points des moments du poids en fonction de la vitesse.
Nous avons alors établi un modèle d’évolution du moment de redressement en fonction de la vitesse du système vélo/cycliste.
En observant que la résultante de redressement augmente en fonction de la vitesse, nous avons choisi une fonction polynôme de degré 2 passant par l’origine puisqu’à vitesse nulle, aucune moment de redressement ne s’exerce sur le système.
Cette représentation graphique permet de lisser la courbe avec un coefficient de corrélation le plus proche possible de 1.
Sachant que l’équation de la courbe représentant la différence entre les modèles de la moment de redressement pratique et du moment de la force centrifuge théorique est du 2nd degré, la loi qui justifie cet écart est une loi évoluant comme le carré de la vitesse, d’où l’aspect de la courbe suivante :
Les résultats sont récapitulés dans ce tableau :
Evolution du couple gyroscopique en fonction de la vitesse
De plus, on observe que le couple de redressement gyroscopiques augmentent en fonction de la vitesse selon une fonction polynôme de degré 2, ce qui met en évidence une relation entre la valeur du couple gyroscopique et la vitesse pour les vitesses étudiées et pour le rayon de virage utilisé.
Donc , d’une certaine manière , la diminution de l’angle d’inclinaison de la roue (qui tendrait pour une vitesse donnée à réduire l’effet gyroscopique) est minoritaire par rapport à l’augmentation de la vitesse.
Nos mesures devraient donc vérifier la relation vectorielle établie précédemment :
Cependant le couple gyroscopique ne dépasse pas 2 N.m, ce qui est très faible aux vues de l’écart observé entre le moment de redressement et le moment de la force centrifuge.
Cet écart est en partie lié à l’effet gyroscopique !
Le reste provient sûrement d’imprécisions au niveau des mesures.
On détecte plusieurs niveaux d’imprécision :
- Tout d’abord , au niveau de la mesure de l’angle. L’autre paramètre mesuré, la vitesse, ne pouvait pas expliquer de tels écarts.
- Le comportement du cycliste peut lui aussi faire varier cet angle par la position qu’il adopte : un léger décalage du centre d’inertie en dehors du plan du cadre brouillerait nos mesures.
Il y a peut-être d’autres explications à cet écart. Celui-ci peut provenir d’un effet de portance :
le cycliste formerait un profil plat ayant un angle d’attaque de 33°.
Le seul problème est le calcul du coefficient de portance dont nous n’avons qu’une approximation. Ce phénomène entraînerait une diminution du poids du système et de ce fait une variation dans le moment de redressement calculé à partir du poids et expliquerait en partie l’écart si important entre le moment de redressement que nous avons obtenue et le moment de la force d’inertie d’entraînement (d’autant plus qu’il y avait du vent face au cycliste dans le virage).
Cependant quoiqu’il en soit de l’explication que l’on peut trouver à un tel écart, cette étude nous a permis de trouver une relation entre l’angle d’inclinaison et la vitesse et donc d’établir une relation entre le couple gyroscopique et la vitesse pour un virage de rayon d’environ 30m.
IV- Mise en relation des résultats et conclusions.
La relation obtenue précédemment va nous permettre de rejoindre notre première partie en étudiant un cas particulier dans le rétablissement de l’équilibre du vélo en ligne droite.
Il s’agit tout d’abord de trouver, dans un des enregistrements effectués dans la première partie, un déséquilibre qui aurait provoqué une rotation du guidon correspondant à la rotation du vélo autour d’un axe dont le rayon serait proche de 30m .
En effet, on pourrait alors coupler les trois moments gyroscopiques afin de connaître leur contribution réelle dans le rééquilibrage en les comparant au moment de la force centrifuge obtenue pour ce rayon de courbure.
On peut ici donner un ordre de grandeur de la force d’inertie et de l’effet gyroscopique pour une vitesse de 35km.h-1 et pour une rotation du guidon telle qu’on a pu en voir sur les rouleaux .
Le moment de la force centrifuge s’évaluerait à environ 200 N et la somme des couples de redressement gyroscopique à environ 13 N.
L’effet gyroscopique n’est donc pas négligeable sur les corrections que l’on peut effectuer en ligne droite puisqu’il participe à environ 7% du rééquilibrage !
Conclusions
Diverses conclusions peuvent être tirées de nos travaux :
→ Tout d’abord que le déséquilibre du vélo en ligne droite est provoqué par un décalage du centre d’inertie qui est en partie dû au pédalage.
→ Les réactions gyroscopiques des roues ne permettent pas le total rééquilibrage du vélo, et dans tous les cas où le système vélo/cycliste est en mouvement par rapport au référentiel terrestre, la force d’inertie d’entraînement est prépondérante sur l’effet gyroscopique.
→ La réaction gyroscopique augmente en fonction de la vitesse de rotation et du poids des roues. Donc sur les anciens vélos où les roues ont une masse importante, l’effet gyroscopique est donc plus important.
→ Le couple gyroscopique est supérieur pour de petits déséquilibres plutôt qu’en virage. C’est à ce titre que nous avons pu distinguer plusieurs sortes d’effets gyroscopiques. (Qu’ils soient dûs à la rotation du système autour d’un axe ou à la rotation de la roue, ils contribuent à rééquilibrer le système.)
→ La gesticulation du cycliste est un complément au rééquilibrage du système.
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Au delà de toutes ces considérations purement mathématiques , le vélo présente une foule d’avantages bien connus, qui en font le moyen de transport urbain idéal : peu encombrant , silencieux , non polluant (*) , bon pour la santé cardiaque et articulaire !
J’y vois bien entendu un autre avantage plus subtil qui est celui de nous garder en contact avec les réalités du monde physique !
Il faut avoir peiné sur un vélo mal graissé, senti le manque de sucre, vu le faible éclairage que notre dynamo permet, pour prendre conscience dans son corps des grandes idées de la physique !!
(*) - Même s'il est infiniment négligeable , on ne peut toutefois pas occulter totalement le rejet dans l'atmosphère de particules fines produites par l'usure des pneumatiques et des patins de freins .
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Course cycliste / CHAMONIX 1923
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Philippe CLÉMENT - BÉAL
Chamonix le 11 Juillet 2016
Commentaires (1)
- 1. | 15/03/2017
Merci pour cette étude qui m'a interpelé.
J'ai fait le test, que d'autres ont mis sur YouTube, à savoir suspendre une roue de vélo par deux ficelles, lancé cette roue et coupé un des deux fils.
L'effet gyroscopique est tel que la roue conserve sa position verticale très longtemps.
S'il faut un effort certain pour l'éloigner de la verticale, il est plutôt facile de changer son azimut.
Malgré que le phénomène soit archi-connu, il n'en reste pas moins....spectaculaire.
J'ai essayé de transposer votre article à la moto.
Différence avec le vélo, ces engins sont équipés de pneumatiques d'une largeur certaine.
Donc avec l'inclinaison, le point d'appui s'éloigne beaucoup de l'axe de symétrie du véhicule.
Soit dit en passant, en compétition, l'angle entre la verticale et l'axe moto atteint couramment 60°, record à 68 !!!
Comme pour le vélo, l'élément déterminant semble être l'angle de chasse.
La machine s'incline sur le coté, la poussée du point de contact par rapport à l'axe de rotation de la fourche crée un moment.
Ce moment est tel qu'il faut contrer la tendance de la moto à engager dans le virage, au moins aux allures "civilisées".
L'azimut de la roue avant change et apparait un effet centrifuge (pseudo-force ?)
La stabilité dynamique semble plus mauvaise que celle du vélo.
"Lâchée" en ligne droite, elle ne va pas "serpenter" et tendre vers la verticale mais s'engage de plus en plus dans le virage.
Instabilité aux "basses vitesses due à l'influence d'un angle de chasse prenant en compte les effets gyroscopiques liés aux vitesses accessibles ?
Amitiés